"Les femmes veulent des bébés mais les hommes veulent juste les faire; les femmes veulent la confiance mais les hommes veulent une maman."
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Non, c’était vrai. Ce genre d’adage à la con n’était clairement pas dans mes habitudes en temps normal. Pourtant, je le pensais sincèrement : ma décision de revenir auprès d’Olivia et de notre fils était probablement la meilleure des décisions qu’il m’avait été donné de prendre. Bien évidemment, ça n’avait pas été facile, au début. Et ça ne l’était toujours pas. Je doutais en permanence de mes moindres faits et gestes, tantôt trop laxiste, tantôt trop protecteur -rarement trop sévère ; j’en étais incapable, et Adam l’avait bien compris, au plus grand damne de mes tentatives d’intimidation ; même si la majeure partie du temps, il avait la délicatesse de ne pas trop profiter de la situation- il m’arrivait de me demander si un jour, j’arriverais enfin à trouver un juste milieu. Pour autant, je ne regrettais pour rien au monde ces moments passés avec mon fils, l’idée d’avoir un enfant d’ailleurs de plus en plus imprégnée en moi. Certes, ça prenait du temps. Mais je commençais peu à peu à me faire à l’idée. Mieux : elle me plaisait. L’idée de pouvoir le voir grandir, faire ses premières expériences, se tromper, apprendre, découvrir. Toutes ces petites choses de la vie qui faisaient que peu à peu, on devenait adolescent, nos idées stupides et décisions douteuses nous faisant apprendre de nos erreurs mais aussi de nos réussites. Nos goûts et nos caractères qui s’affirment ; nos idées ni bonnes, ni mauvaises, étant juste nos idées, qui faisaient partie de nous, qui faisaient de nous ce que nous étions et qui feraient de lui un homme. Je venais tout juste de commencer ma carrière de papa, et pourtant, le temps me semblait parfois passer à une vitesse vertigineuse… Souvent, je me surprenais à repenser, la larme à l’oeil et le coeur serré à notre première embrassade en tant que père et fils. Certains types de mon espèce se seraient barrés. D’un « bon bah c’était sympa, je dois y aller ». Mais son regard vif et malicieux, ses sourires et ses bouclettes avaient eu raison de moi. Et en toute honnêteté, il aurait pu être un enfant laid, comme il en existait ailleurs, je n’aurais pas pu le repousser ; lui infliger ce qu’on m’avait forcé à vivre.
Et de toutes façons, notre gosse, c’était le plus beau, le plus malin. Pas la peine d’aller chercher plus loin. Ceux qui ne seraient pas capables de le voir, seraient des imbéciles. Ou peut être tout simplement les parents d’un autre enfant, qui à leurs yeux serait lui aussi le plus beau et le plus intelligent. Bon sang. L’objectivité ? Les parents ne connaissent pas. C’est quoi ? Ça se mange ? qu’est ce que c’est que ce pokemon ?
Liv l’avait emmené à l’école, ce matin là ; avant d’aller au cabinet. Pendant ce temps là, moi, je faisais du rangement dans mon atelier, bien trop bordélique depuis quelques temps. Un peu de rap belge crachait à pleins poumons dans les enceintes que j’avais installées ; la musique me permettant souvent de me couper de l’espace temps, restant bien confortablement dans ma bulle, à continuer tranquillement, jusque parfois très tard, les tâches que je devais accomplir, entre sérigraphie et dessin ; commandes et œuvres plus personnelles. Un jour, je ramènerais Adam avec moi. Je lui apprendrais à imprimer. On se mettrait sans doute de l’encre de la tête aux pieds. « un bon imprimeur, c’est un imprimeur qui a les mains propres », c’était ce qu’on m’avait souvent répété. Moi, je disais que c’était trop propre pour être honnête, que ça cachait probablement quelque chose. j’aimais l’idée de pouvoir me salir en toute impunité. Encore plus celle d’imaginer Adam avec moi, là, s’en donner à coeur joie avec les encres, tripoter les racles, poser cent mille questions, la prochaine suivant la précédente avant même que je n’aie pu répondre à celle-ci entièrement. Et puis les dessins, les gribouillages. Et la peinture sur le bout du nez, comme lorsque madame Rosa venait me tirer de ma sacro-sainte réflexion, de ces rêveries dessinées qui prenaient le plus clair de mon temps, lors j’étais gosse…
Pris dans mes pensées, mélange de réalité et d’imagination, je fus tiré de ce grand nettoyage par la sonnerie du téléphone. Essuyant mes doigts dans mon tablier, baissant la musique, j’avais sauté de l’estrade et attrapé mon cellulaire d’un geste leste et nonchalant. Et peu à peu, les mots que j’entendais attiraient avec eux ma joie de vivre, cette bonne humeur qui ne m’avait pas quittée depuis le réveil…
Un peu abasourdi, je m’étais assis lentement, nettement plus malhabile qu’auparavant, en état de choc. Une main devant la bouche, comme pour m’empêcher de hurler. L’autre, crispée sur le téléphone, l’oreille alerte, comme en attente d’une nouvelle rassurante. J’avais probablement besoin qu’on me dise que tout irait bien.
- Vous avez bien compris, monsieur Brydger ?
- Oui. Quand est-ce que je pourrais la voir ?
- C’est difficile à dire vous savez ? Pour le moment, elle a besoin de repos.J’ai raccroché, une fois le numéro de sa chambre soigneusement noté. J’avais besoin de temps, pour digérer la nouvelle. Liv s’était fait tirer dessus par un crétin dégénéré. Un de ceux qu’elle n’avait pas pu sauver et qui, aujourd’hui, lui en voulait. Quel monde de merde. Si les justiciers eux même avaient à craindre pour leur vie, comment pouvait-on avoir le moindre espoir pour la société ? J’enrageais. Intérieurement, j’avais mal. Seul dans l’atelier, je sanglotais. J’avais peur pour Liv, pour Adam, qui serait placé chez ses grands parents quelques jours. Bouleversé, j’ai pris le parti de fermer l’atelier pour la journée, trainant dans les couloirs de l’hopital. Mais on m’interdisait de la voir. Ca me rendait dingue.
J’avais fini par me faire une raison, lorsque les médecin m’avaient foutu dehors. M’ont fait la promesse de me rappeler. Bien évidement, je n’en croyais pas un mot, mais au fond, avais-je vraiment le choix ? Rentré seul, dans la maison vide, j’avais passé ma soirée à boire. J’avais honte de me conduire ainsi. Mais j’avais peur, besoin d’oublier, de jouer l’autruche, le temps d’une soirée. Adam chez les parents de Liv, et elle qui luttait contre la mort, j’étais seul, désarçonné. Alors j’ai paniqué.
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Deux jours plus tard. Je n’avais toujours aucune nouvelle de Liv, ce qui me faisait un mal de chien. J’avais envie de voir mon fils, comme étrangement besoin de lui. Comme si sa présence allait changer quoique ce fut. Et le pire dans tout ça, c’était sans doute que je ne pouvais même pas demander à son grand-père de me l’emmener. Il aurait compris que j’étais de retour. Hors de question de mettre plus de désordre dans la vie d’Olivia. Pas maintenant.
J’ai pris le parti de retourner à l’atelier, l’impression m’aiderait probablement à contrôler cette colère et cette inquiétude qui me bouffaient de l’intérieur. Mais alors que je franchissais la porte de chez nous, mon portable sonna. Sautant dessus, j’ai été surpris, mais rassuré, d’entendre la voix de Liv. Bien plus terrifié par ce qu’elle allait m’annoncer. C’était pour maintenant. Sans plus attendre, j’ai couru à l’intérieur, récupérant la valise qu’elle avait préparée et cachée sous notre lit depuis un moment déjà, avant de foncer vers l’hopital, où j’arrivais quelques minutes plus tard. Entrant dans la pièce, j’ai vu qu’elle commençait doucement à se réveiller… M’approchant timidement, j’ai serré sa main dans la mienne :
- J’suis désolé de ne pas avoir été là avant. J’ai essayé. Ils ne m’ont pas laissé rester avec toi.
Sentant sa main serrer la mienne plus fort, avant de voir son visage se déformer, j’ai demandé inquiet :
- Est ce que ça va ??Avant de déposer un baiser sur son front, comprenant ce qu’il venait de se passer, caressant sa joue, priant pour trouver un moyen de la rassurer :
- Mais non… Tout va bien se passer. Je suis là. J’te laisse pas. Adam est chez tes parents. Et bientôt, on aura la plus belle petite fille qu’on ait jamais vu.Moi ? Gaga ? À peine. J’avais beau avoir peur, moi aussi, je tentais de ne rien laisser paraître. La curiosité et l’envie d’avancer l’emportaient sur ma peur dévorante.
️ nightgaunt